Jules César Druenne

Jules César Druenne

En 1871, un certain Jules César Druenne, participe à l’insurrection de la « Commune de Paris »[1]. Il sera ensuite jugé et envoyé au bagne en Nouvelle-Calédonie (matricule 2146[2]), avant de rentrer à Paris et d’y commettre un autre méfait.

Né le 12 juin 1830 au Nouvion-en-Thiérache (Aisne)[3], il était le fils de Louis Désiré Druenne et Marie Rose Julie Prévost[4], et issu de la branche du couple Druenne-Mollet du Nouvion-en-Thiérache. A l’époque de la Commune, ayant été à Paris depuis près de quinze ans, il n’avait déjà plus de connaissances en-dehors de la ville. Avant son engagement, il vivait à la rue de la Quintinerie à Paris (n°5 – quartier de Vaugirard, 15ème arr.), était célibataire, charretier et comptable[5]. Jules était haut d’1m70, avait des cheveux et des sourcils bruns, un front bombé, des yeux gris, un nez ordinaire, une bouche moyenne, un menton rond, un visage ovale et le teint pâle. Il ne portait pas de barbe et avait une légère cicatrice sur le nez[6].

Extrait du jugement de Jules à la déportation en enceinte fortifiée (commuée en déportation simple), à Paris le 1er février 1872 (ANOM)

Engagé dans la garde nationale en janvier 1871 par manque de revenus propres alors que la ville de Paris était assiégée par la Prusse[7], Jules est incorporé au 156ème bataillon, dans la 2ème compagnie de marche, alors en plein renforcement d’effectifs[8]. Il restera simple garde, sans grade, pendant toute sa courte carrière militaire. Désireux de rejoindre, en raison de son âge, une compagnie sédentaire, il n’aura d’autre choix, faute de place que de rejoindre une compagnie de marche.

A cette époque, la France, humiliée, vient de capituler face à la Prusse. Le 18 janvier, l’empire allemand est proclamé dans la Galerie des Glaces du château de Versailles. Napoléon III est prisonnier à Sedan. Le 28 janvier, Jules Favre et Otto von Bismarck signent un armistice temporaire et la France s’engage à convoquer une nouvelle Assemblée nationale afin de décider de la reprise ou non des hostilités. Le 8 février, des élections législatives organisées à la hâte se dégage une forte majorité monarchiste et pacifiste dans le pays ; à Paris cependant, ce sont les républicains qui l’emportent, portés par les Parisiens qui, affamés par le siège prussien, refusent d’admettre la défaite de la France et veulent continuer à se battre. En conséquence, le peuple de Paris se retourne contre le gouvernement : c’est la guerre civile. Le 18 mars, le gouvernement décide de récupérer au profit de l’armée les canons de la garde nationale, qui avait combattu contre l’occupant prussien. Les gardes refusent et se joignent à l’insurrection populaire contre le gouvernement : la Commune de Paris a commencé.

A ce moment, Jules, n’ayant d’autre revenu que sa solde de la garde nationale, décide de rester dans les rangs de celle-ci. Après avoir été stationné à Grenelle, au Trocadéro, à Bicêtre et au moulin Saquet, Jules revint à Paris avec son bataillon le 25 mai, au cœur de la semaine la plus sanglante de l’insurrection. Il y entre par la porte d’Ivry, après avoir passé la nuit du 24 mai au fort d’Ivry. Le 26 mai, il passe par la mairie du 12ème arrondissement, puis par le Cours de Vincennes et le Boulevard de Puebla ; le 27 mai, Jules se trouve isolé de son bataillon lorsqu’une partie de celui-ci sort de la ville par la porte de Romainville. Il passe alors la journée entre cette dernière et la porte de Bagnolet. Après avoir passé la nuit à la rue de Belleville, Jules se trouve à nouveau à la porte de Romainville le 28 mai à huit heures du matin, en uniforme de la garde mais sans ses armes, qu’il avait abandonnées la veille. La porte étant fermée, il se trouve dans l’incapacité de sortir ; lorsqu’une troupe pro-gouvernementale arrive, Jules se rend sans résistance. Ce même jour, au terme d’une semaine de répression intense, l’insurrection prend fin. Le 25 août suivant, la garde nationale est définitivement supprimée.

Batterie d’artillerie servie par les gardes nationaux, pendant le siège de Paris (Wikimedia Commons)
Gardes nationaux et curieux sur la colonne Vendôme renversée le 16 mai 1871 (Bruno Braquehais, Wikimedia Commons)

Dans les mois qui suivirent commencèrent les nombreux procès des participants de la Commune. Jules est interrogé à deux reprises : le 12 septembre 1871 et le 19 janvier 1872[9]. Questionné sur sa participation personnelle à l’insurrection, Jules reconnaît avoir fait usage de son arme à une seule occasion : sur le Cours de Vincennes, lorsque son bataillon s’est trouvé au cœur d’un échange de tirs. Un homme, dit-il, fut abattu d’une balle perdue ; son bataillon et lui n’avaient cependant, à l’en croire, tiré qu’en direction des volets des maisons qui leur faisaient face.

Soupçonné de faire partie de l’Internationale communiste, Jules affirme qu’il ne sait même pas de quoi il s’agit, et ajoute qu’il n’a jamais eu d’opinions politiques – que sa seule motivation pour suivre son bataillon était la solde que celui-ci lui assurait, et qu’y étant engagé, il était contraint de se plier aux ordres et de se battre. Jules ne partait pas gagnant, ayant précédemment été condamné à un mois de prison, le 19 octobre 1870, pendant le siège prussien[10], pour avoir volé une couverture alors qu’il participait aux travaux de fortification de la ville de Paris[11].

Le 1er février 1872, il est jugé à Versailles pour sa participation à l’insurrection, lors du vingtième Conseil de guerre permanent de la première division militaire[12]. Il est alors reconnu, à l’unanimité des voix, coupable « d’avoir, dans un mouvement insurrectionnel, porté des armes apparentes dont il a fait usage étant revêtu d’un uniforme militaire »[13]. Il est condamné à payer ses frais de procès (24 francs) ainsi qu’à la déportation en enceinte fortifiée, « conformément aux articles 5 de la loi du 24 mai 1834 ; 5 de la Constitution de 1848, 1er de la loi du 16 juin 1850 et 267 du code militaire »[14]. Le 7 mars, ce jugement est confirmé et mis en application le 16 du même mois par décision du Conseil de Révision de Paris[15]. Le 24 juillet, sa peine est commuée en déportation simple[16], ce que les journaux parisiens, parlant de lui plusieurs années plus tard, semblent avoir ignoré.

Extrait de « l’avis de décision gracieuse » de commutation de la déportation en enceinte fortifiée à une déportation simple[17]

Le 8 mai 1873, il embarque à Brest (fort Quélem) sur le Calvados à destination de la Nouvelle-Calédonie[18]. Le 27 septembre, il arrive en Nouvelle-Calédonie[19], et est débarqué à l’Île des Pins le 3 octobre[20]. Le jour même de son arrivée, un déporté perdait la vie, âgé d’à peine 35 ans[21]

Le Calvados, à bord duquel Jules embarqua pour la Nouvelle-Calédonie (photo fournie par M. Guinard[22])

Représentation d’un débarquement de déportés à Nouméa (Le Monde illustré, 1873, p. 88[23])

Les ruines du bagne de l’Ile des Pins, utilisé de 1864 à 1924, existent encore de nos jours. Environ 21 000 Français de métropole furent déportés en Nouvelle-Calédonie pendant cette période[24] ; les condamnés aux travaux forcés étaient envoyés à l’île Nou, les déportés en enceinte fortifiée sur la presqu’île de Ducos, et les condamnés à la déportation simple étaient conduits à l’île des Pins[25], entourée d’un océan plein de requins. 240 déportés de la Commune y perdirent la vie entre 1872 et 1880[26]. L’objectif initiale de la déportation en Nouvelle-Calédonie, à savoir le peuplement des îles par des condamnés français, échoua lamentablement, une large majorité des condamnés libérés ayant fait le choix de retourner en métropole[27].

Ruines du bagne de l’Île des Pins (© Ben Caledonia on Flickr)

Timbre commémoratif du bagne de l’Île des Pins (La Poste)

Le 15 janvier 1879, Jules bénéficie d’une remise de peine[28], d’une « grâce entière »[29], grâce au décret passé le 15 janvier de la même année[30]. Le 29 juin, il embarque à nouveau à bord du Calvados, qui le ramène en France[31]. Le départ était initialement prévu le 20 juin[32]. Arrivé à Paris, il déclare se rendre au 10bis, rue de la Procession pour y vivre[33]. En octobre de la même année, à peine arrivé, déjà ivre sur la place Cambronne à Paris, il agresse des agents sur la voie publique. Il est condamné à un mois de prison et cinq francs d’amende.

On parle alors de lui dans « La Gazette des Tribunaux » :

Jules César Druenne, quarante-neuf ans, charretier, condamné à la déportation dans une enceinte fortifiée pour faits relatifs à la Commune, et, en outre, en 1870, à un mois de prison pour vol. À dix heures du soir, place Cambronne, il a été arrêté dans un état d’ivresse manifeste, a traité les agents de canailles, d’imbéciles, ajoutant : « Si je vous tenais dans un coin, je vous bourrerais de coups de poing. » Le Tribunal [de police correctionnelle] l’a condamné à un mois de prison pour le délit, et à 5 francs d’amende pour l’ivresse. Il était arrivé à Paris de l’avant-veille[34].

Dans « Le Figaro » :

Autre amnistié. Celui-là s’appelle Jules-César Druenne. Il a été deux fois condamné, d’abord pour vol, et plus tard à la déportation dans une enceinte fortifiée, pour participation à la Commune. Le Tribunal l’a condamné à un mois de prison, pour avoir traité les gardiens de la paix de canailles, d’imbéciles, et les avoir menacés dans les termes les plus abominables[35].

Dans « Le Gaulois » :

Le tribunal correctionnel jugeait, avant-hier, trois autres amnistiés, prévenus d’outrages aux agents. Le premier, Jules Druenne, charretier, a déjà été condamné, en 1870, à un mois de prison pour vol. Après la Commune, il a été condamné à la déportation dans une enceinte fortifiée. Arrêté, l’autre soir, en état d’ivresse, place Cambronne, il a traité les gardiens de la paix de « canailles et d’imbéciles », ajoutant : « Si je vous tenais dans un coin, je vous bourrerais de coups de poing. » Le tribunal l’a condamné à un mois de prison pour outrages aux agents, et à 5 fr. d’amende pour ivresse[36].

Après ces épisodes tumultueux, Jules semble avoir moins fait parler de lui. Il décéda au 151, rue de Sèvres le 26 janvier 1901, étant domicilié au 5, impasse Ribet.

Acte de décès de Jules Druenne, mairie du 15ème arrondissement de Paris, 27 janvier 1901

[1] Wikipédia, « Commune de Paris (1871) ».

[2] Pérennès, Déportés et forçats de la Commune. De Belleville à Nouméa, 388. Archives nationales d’outre-mer, matricule 2146, cote de référence (de son dossier de bagnard) FR-ANOM-COL-H78, code de communication FM H78/druennejul. Ce dossier est conservé par le Centre des Archives d’Outre-Mer (CAOM) à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône). Informations complémentaires fournies par Guinard, « Jules César Druenne », 1 janvier 2019.

[3] Pérennès, Déportés et forçats de la Commune. De Belleville à Nouméa, 388; Archives nationales d’outre-mer, Druenne, Jules César.

[4] Archives nationales d’outre-mer, Druenne, Jules César.

[5] Pérennès, Déportés et forçats de la Commune. De Belleville à Nouméa, 388; Archives nationales d’outre-mer, Druenne, Jules César.

[6] Archives nationales d’outre-mer, Druenne, Jules César.

[7] Wikipédia, « Chronologie du siège de Paris (1870-1871) ».

[8] Lois des 10 et 18 août 1870. Voir Wikipédia, « Garde nationale (France) ».

[9] Voir les transcriptions de ces deux interrogatoires en fin de page.

[10] Pérennès, Déportés et forçats de la Commune. De Belleville à Nouméa, 388.

[11] Gazette des Tribunaux, « Chronique », 1064; Le Figaro, « Figaro », 2; Le Gaulois, « Le Gaulois », 2.

[12] Bouvier, « Conseils de guerre et condamnés de la Commune de Paris, 1870-1873, sous-série GR 8 J », 185; Archives nationales d’outre-mer, Druenne, Jules César. Voir aussi Conseil n°20, dossier n°113, GR 8 J 428.

[13] Archives nationales d’outre-mer, Druenne, Jules César.

[14] Archives nationales d’outre-mer; Pérennès, Déportés et forçats de la Commune. De Belleville à Nouméa, 388 avance la date du 12 février de la même année. Il s’agit cependant d’une erreur, comme en témoigne son jugement, conservé dans son dossier de bagnard, aux Archives nationales d’outre-mer (ANOM) à Aix-en-Provence.

[15] Archives nationales d’outre-mer, Druenne, Jules César.

[16] Archives nationales d’outre-mer; Da Costa, La Commune Vécue, 3:408.

[17] Archives nationales d’outre-mer, Druenne, Jules César.

[18] Archives nationales d’outre-mer.

[19] Archives nationales d’outre-mer.

[20] Archives nationales d’outre-mer.

[21] Kohler, « Aumônerie de la Commune et du Bagne. Île des Pins, 1872-1885 ».

[22] Guinard, « Jules César Druenne », 1 janvier 2019.

[23] Pisier, « Les déportés de la Commune à l’île des Pins, Nouvelle-Calédonie, 1872-1880 ».

[24] Wikipédia, « Bagne de Nouvelle-Calédonie ».

[25] Chene, « L’ile des pins, un espace carcéral (1872-1913) ».

[26] Un mois à Nouméa, « Ile des Pins – Le bagne ».

[27] Croix du Sud, « Le bagne : transportation, relégation, déportation ».

[28] Pérennès, Déportés et forçats de la Commune. De Belleville à Nouméa, 388. Voir aussi le dossier de bagnard de Jules, conservé aux Archives nationales d’outre-mer (ANOM) à Aix-en-Provence.

[29] « Etat nominatif des déportés graciés ou commués en diverses peines qui doivent embarquer à bord du Calvados dont le départ est annoncé le 20 juin ».

[30] Archives nationales d’outre-mer, Druenne, Jules César.

[31] Archives nationales d’outre-mer.

[32] « Etat nominatif des déportés graciés ou commués en diverses peines qui doivent embarquer à bord du Calvados dont le départ est annoncé le 20 juin ».

[33] L’immeuble situé à l’époque de Jules au numéro 10bis, rue de la Procession n’existe désormais plus. S’y trouve désormais une construction d’appartements de style « années 1970 » au rez-de-chaussée duquel se trouvait en mai 2018 un établissement d’amincissement et de diététique (images Google Street View).

[34] Gazette des Tribunaux, « Chronique », 1064.

[35] Le Figaro, « Figaro », 2.

[36] Le Gaulois, « Le Gaulois », 2.

20e conseil de guerre permanent de la 1ère division militaire séant à Versailles

L’an mil huit cent soixante-onze, le 12 septembre à 1 heure 15 du soir, devant nous, Boudèle, substitut du Rapporteur près le 3e Conseil de guerre de la 1ère division militaire, assisté du sieur Astier Joseph, Greffier dudit Conseil, en la salle du greffe, sise à bord du Breslair, avons fait extraire de la batterie à l’effet de l’interroger, le nommé Druenne Jules César.

En conséquence, nous avons fait amener devant nous ledit Druenne Jules, que nous avons interrogé ainsi qu’il suit : interpellé de déclarer ses noms, prénoms, âge, lieu de naissance, état, profession et domicile, a répondu se nommer Druenne Jules César, âgé de 42 ans, né à Nouvion (Aisne), charretier, dernier domicile rue de la Quintinie 5.

A quel bataillon étiez-vous ?

Au 156e bataillon 2e compagnie de marche, simple garde, parce que je n’avais pas d’ouvrage.

Quel service avez-vous fait ?

Dans l’île de Grenelle 11 jours, un mois au Trocadéro, et ensuite au fort de Bicêtre et au moulin Saquet, nous sommes revenus dans Paris le jeudi 25 dans la nuit, nous sommes allés sur le Cours de Vincennes où j’ai tiré quelques coups de fusil le vendredi dans la journée ; nous avons été repoussés du côté de Belleville.

Où avez-vous été arrêté ?

A Belleville, contre la porte de Romainville, le dimanche 28 vers 8 heures du matin, j’étais en tenue, j’avais abandonné mon fusil la veille.

Vous n’avez jamais subi de condamnations ?

J’ai subi un mois de prison pour vol d’une couverture pendant le siège de Paris.

Lecture faite à l’accusé du présent procès-verbal d’interrogatoire, il a déclaré ses réponses fidèlement transcrites, qu’elles contenaient la vérité, qu’il y persistait, l’a signé avec nous et le commis-greffier.

Boudèle – Astier – Druenne

A 42 ans était d’une compagnie de marche – a pris une part active à l’insurrection (Bicètre – moulin Saquet – barricades dans Paris) – avoue avoir tiré – a subi une condamnation pour vol. Retenir pour supplément d’instruction.

Boudèle

20e conseil de guerre permanent de la 1ère division militaire séant à Versailles

L’an mil huit cent soixante-douze, le dix-neuf janvier à 9 heures du matin, devant nous, Bosler, substitut du Rapporteur près le 20e Conseil de guerre de la 1ère division militaire, assisté du sieur Ratier, commis Greffier dudit Conseil, en la salle du greffe, sise à Versailles, avons fait extraire de la prison de Lanterne à l’effet de l’interroger, le nommé Druenne, Jules César, prévenu de participation à l’insurrection parisienne.

En conséquence, nous avons fait amener devant nous le dit Druenne que nous avons interrogé ainsi qu’il suit :

Interpellé de déclarer ses noms, prénoms, âge, lieu de naissance, état, profession et domicile, a répondu se nommer Druenne, Jules César, âgé de 42, né le 25 juin 1829, à Nouvion, arrondissement de Vervins (Aisne), charretier, demeurant à Paris, rue de la Quintinie n°5 (quartier de Vaugirard, 15e arrondissement).

Dites-nous depuis quelle époque vous faites partie de la garde nationale, dans quel corps et en quelle qualité vous y avez servi ?

Je suis entré dans la garde nationale lorsque les travaux de fortification ont été terminés, au mois de janvier. J’ai été incorporé en qualité de simple garde dans la 2e compagnie de marche du 156e bataillon. Je n’ai jamais eu de grade et ai toujours été simple garde. On m’a donné, en arrivant au bataillon, un fusil à tabatière, un pantalon, une vareuse, une capote, un képi, une paire de souliers, une paire de guêtres et les objets de campement. Tous ces effets ou armes m’ont été délivrés pendant l’armistice, c’est-à-dire pendant le siège des Prussiens ; je n’en ai pas reçu sous la Commune.

Dites-nous pour quel motif vous avez continué à faire partie de la garde nationale, lorsque le 18 mars l’insurrection s’est déclarée ?

J’ai continué à faire partie de la garde nationale parce que je n’avais aucune ressource, qu’il n’y avait pas de travail et que la solde seule pouvait me permettre de vivre.

Dites-nous en suivant l’ordre des dates tout ce que vous avez fait depuis le 18 mars jusqu’au jour de votre arrestation ?

Le premier service que nous ayons fait à partir du 18 mars, c’est dans l’île de Grenelle où nous sommes restés 11 jours ; à la suite de quoi nous sommes rentrés chez nous, où nous avons eu 2 jours de repos. Puis on nous a fait partir pour l’Ecole militaire, où nous n’avons passé qu’une nuit, puis nous l’avons quittée pour aller au Trocadéro où nous sommes restés 3 ou 4 semaines. Du Trocadéro nous avons été au Moulin-Saquet où nous sommes restés environ 4 semaines et que nous avons évacué le 24 mai au soir pour aller coucher à la porte du fort d’Ivry et rentrer le 25 mai dans Paris par la porte d’Ivry. Nous sommes allés immédiatement à la mairie du 12e arrondissement à Bercy, que nous avons quitté le soir même pour aller à la Barrière du Trône et à l’avenue de Vincennes où nous avons passé la nuit. Nous avons quitté cet endroit vers trois heures de l’après-midi et nous sommes allés au boulevard de Puebla près de la nouvelle mairie en construction où nous avons passé la nuit. Le lendemain matin, 27 mai, on nous a fait lever et on nous a envoyés le long des fortifications, entre la porte de Bagnolet et la porte de Romainville, par laquelle est sortie la plus grande partie de notre bataillon. Pour nous qui étions égarés et qui avions perdu le bataillon, nous sommes restés là entre les 2 portes, où nous avons passé toute la journée dans les postes-casernes où nous avons mangé avec des soldats du génie de la Commune. Puis, le soir, nous sommes allés dans une maison de la rue de Belleville où nous avons passé la nuit, et le lendemain matin vers 8 heures nous voulûmes sortir par la porte de Romainville, mais cette porte étant fermée et, la troupe arrivant, nous fûmes pris, sans que nous fissions la moindre résistance.

Dites-nous l’uniforme que vous portiez lors de votre arrestation et les armes et les cartouches que vous possédiez en ce moment ?

Je portais l’uniforme du 156e bataillon. Quant à mes armes et à mes cartouches, je les avais abandonnées la veille au soir sur un tas d’armes à la porte de Romainville.

Dites-nous si pendant tout le temps que vous y avez été il y a eu beaucoup d’hommes tués et blessés dans votre compagnie ?

La compagnie n’a eu à combattre qu’en une seule circonstance ; c’est sur le Cours de Vincennes ; il y a eu là un homme tué et pas un seul blessé. C’est la seule fois où j’ai tiré des coups de fusil, environ une vingtaine, j’ajouterai que l’homme qui fut tué le fut par une balle au front et qu’elle arriva sans qu’on sût qui l’avait tirée, attendu qu’on ne voyait personne. Pour nous, nous tirions dans les volets des maisons qui étaient en face.

Dites-nous quelles sont les condamnations antérieures que vous avez subies ?

J’ai été condamné à un mois de prison à l’époque où pendant le siège par les Prussiens, je travaillais aux fortifications, pour vol d’une couverture.

N’avez-vous pas été condamné à 15 jours de prison pour mendicité ?

Je n’ai jamais été condamné pour mendicité, attendu que j’ai toujours travaillé.

N’avez-vous pas été condamné pour délit de chasse et outrage à la pudeur ?

Je n’ai jamais été condamné pour ces motifs-là ; en un mot, je n’ai jamais eu d’autre condamnation que celle à un mois que je viens de dire.

Êtes-vous marié ?

Non, je suis célibataire.

Pour quel motif n’avez-vous pas préféré sortir de Paris, puisque votre âge de 42 ans le permettait, au lieu de servir dans les troupes de la Commune ?

Je ne pouvais pas sortir de Paris, attendu que je ne connaissais personne, et de plus j’étais depuis 14 ans chez mon patron, c’est ce qui a fait que j’ai préféré rester à Paris.

Comment se fait-il qu’en raison de vos 42 ans vous vous soyez mis dans une compagnie de marche ?

A l’époque où je me suis enrôlé la compagnie de marche était déjà formée et comme on ne recevait plus personne dans la sédentaire, j’ai été forcé d’entrer dans une compagnie de marche. Cela se passait pendant le siège par les Prussiens, et sous la Commune, je suis resté dans ma compagnie.

Depuis quand faites-vous partie de l’Internationale ?

Je ne sais même pas ce que c’est que l’Internationale.

Dites-nous quelles sont les diverses sociétés dont vous faites partie ?

Je n’ai jamais fait partie d’aucune société ni d’aucun club, et je n’ai jamais été dans aucune réunion.

Vous ne compreniez donc pas que vous commettiez une faute très grave en combattant contre le gouvernement et contre l’armée ?

Ce que je puis dire à cela, c’est que n’ayant jamais eu d’opinion politique, je n’avais jamais eu l’intention de me battre, et si je l’ai fait c’est parce qu’on nous y contraignait en nous mettant le revolver sur le front. Et si j’avais eu de l’ouvrage, bien certainement je ne serais pas resté dans la garde nationale.

Lecture faite au prévenu du présent interrogatoire, il a déclaré ses réponses fidèlement transcrites, y a persisté et a signé avec nous et le commis greffier.

Ratiez – Druenne – Bosler

Et aussitôt après, en exécution de l’article 101 du code de justice militaire, nous avons donné au prévenu Druenne lecture des procès verbaux de l’information ; après quoi nous avons clos le présent par notre signature, celles du prévenu et du commis greffier.

Ratiez – Druenne – Bosler

Druenne est accusé d’avoir pris part à l’insurrection parisienne comme garde au 156e bataillon fédéré.

Il a été arrêté, le vingt-huit mai, vers huit heures du matin, alors que, sans l’uniforme du 156e bataillon et sans armes, il cherchait à s’enfuir par la porte de Romainville.

Druenne prétend que, dénué de ressources, il s’est vu dans l’obligation de conserver la solde de la garde nationale sous la Commune et que, s’il faisait partie d’une compagnie de marche, c’est parce que lors de son enrôlement, au mois de janvier, on ne recevait plus personne dans les compagnies de sédentaires.

Depuis le dix-huit mars, il a passé, avec son bataillon, onze jours dans l’île de Grenelle, quatre semaines au Trocadéro et environ autant de temps au moulin Saquet. Ils ont quitté cette position dans la soirée du 24 mai, ont passé la nuit du 24 au 25 mai près de la porte du fort d’Ivry et sont rentrés le 25 mai, au matin, dans Paris. Envoyés d’abord à la mairie du XXIe arrondissement, à Bercy, ils ont été dirigés sur la place du Trône et le Cours de Vincennes où ils ont séjourné jusqu’au 26 mai, vers trois heures de l’après-midi et où il y a eu un engagement, dans lequel la compagnie de Druenne a perdu un homme tué et où Druenne lui-même a tiré environ une vingtaine de coups de fusil. Après ce combat, le 156e bataillon a été dirigé sur le boulevard de Puebla, où il a passé la nuit près de la nouvelle mairie, et, le lendemain, 27 mai, il s’est enfui de Paris en passant par la porte de Romainville. Druenne dit, qu’ainsi que deux de ses camarades, il s’est trouvé égaré et isolé de son bataillon et qu’il a passé toute la journée du 27 mai dans les postes-casernes qui se trouvent entre la porte de Romainville et la porte de Bagnolet ; que, le soir, il a déposé ses armes et munitions contre l’une des portes et qu’il est allé se coucher dans l’une des maisons du voisinage. Il ajoute que le lendemain matin, 28 mai, il essayait de sortir de Paris, lorsque, les troupes de ligne se présentant, il a été fait prisonnier alors qu’il n’avait plus d’armes et sans qu’il eût opposé la moindre résistance.

Selon lui, sa compagnie n’aurait combattu qu’en une seule circonstance, sur le Cours de Vincennes, où il avoue qu’il a brûlé une vingtaine de cartouches.

Druenne a subi pendant le siège par les Prussiens une condamnation à un mois de prison pour vol et comme sa participation active à l’insurrection parisienne est suffisamment démontrée par ce fait, qu’ayant quarante-deux ans, il n’en a pas moins continué à servir, sous la Commune, dans la Compagnie de marche et par l’aveu qu’il fait lui-même, de la part qu’il a prise au combat du Cours de Vincennes, nous pensons qu’il y a lieu de le renvoyer devant un Conseil de guerre sous l’accusation d’avoir porté, dans un mouvement insurrectionnel, un uniforme militaire et des armes apparentes et d’avoir fait usage de ces armes, crimes prévus et punis par l’article 5 de la loi du 24 mai 1834.

Versailles, le vingt-un janvier 1872.

Le rapporteur substitut,

Bosler.

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